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Article dans le magazine Maison du 21e siècle : Crise du logement

J'y aborde la difficulté croissante d'accéder à la propriété et les priorités individuelles et collectives.

Bonne lecture!


Article ci-dessous, ou cliquez sur le lien ici pour accéder au site du magazine.




Passionnée d’architecture saine et durable, je vous offre ma jeune plume pour aborder tout au long de l’année à venir des sujets qui me tiennent à cœur dans l’exercice de ma profession de designer spécialisée en bâtiments écologiques. En souhaitant que mes propos soulèvent des questionnements, piquent votre curiosité, nourrissent vos réflexions et vous amènent à plonger dans mon univers où la fonctionnalité, la beauté et la durabilité peuvent cohabiter pour créer des lieux de vie uniques et générateurs de bien-être! 


L’abordabilité

Bien au fait de la crise de l’accessibilité à la propriété dont les médias parlent depuis déjà quelques années, j’ai saisi l’ampleur de la situation lors de deux évènements survenus dernièrement. Assise sur sa chaise, j’ai écouté ma coiffeuse de 23 ans me confier ses préoccupations : financièrement, elle ne voit pas le jour où elle pourra quitter le domicile familial et acquérir une propriété. Et ce malgré qu’elle et son conjoint aient de bons emplois et qu’elle soit propriétaire de son salon de coiffure. Sachant que cette histoire est aussi le reflet de tant d’autres, je constate impuissante l’espoir de nos jeunes se faire dévorer par le requin de l’immobilier.


En fonction du salaire moyen, il faut désormais s’endetter quatre fois plus qu’en 1980 pour acquérir une propriété, selon Pierre Charles Jolicoeur, courtier hypothécaire chez Multi-Prêts Hypothèques. L’inflation touche certes toutes les générations, mais cette jeunesse en « mal de mise de fonds » est davantage pénalisée que celles qui ont eu la chance d’amasser un certain patrimoine au cours des dernières décennies.  

Dans les jours suivants, je recevais l’estimation budgétaire préliminaire pour la construction d’une nouvelle maison unifamiliale dont j’assure la conception. Le constat est alarmant : malgré un design simple et efficace pour combler les besoins d’une jeune famille, malgré le fait que les clients aient fait un grand nombre de concessions, malgré le travail faramineux de l’entrepreneur pour repenser sa façon de construire et chiffrer correctement le projet, les coûts de construction d’une maison neuve ont littéralement explosé! Des hausses moyennes de plus de 30 % depuis la pandémie, certaines allant jusqu’à 40 % selon les secteurs, auxquelles on doit évidemment ajouter les taxes. Le mot qui m’est venu est : indécent.


Indécent qu’une famille de la classe moyenne supérieure ne puisse plus se construire une maison écologique de taille raisonnable avec un budget 620 000 $ – excluant le coût du terrain – en Estrie. Il y a neuf ans, on construisait ce type de maisons pour la moitié de cette somme. Qui plus est, le fisc ne s’est toujours pas adapté à cette nouvelle réalité. Le remboursement maximal de taxes pour une construction ou une rénovation majeure, selon Revenu Québec :

  • diminue progressivement lorsque le prix d'achat du terrain et de l'habitation neuve ou rénovée est supérieur à 350 000 $ pour la TPS et à 200 000 $ pour la TVQ;

  • devient nul si le prix est égal ou supérieur à 450 000 $ pour la TPS et à 300 000 $ pour la TVQ.


 C’est tout à fait déplorable.


La réalité est qu’en cette période cruciale où les changements climatiques sont déjà bien visibles, on ne peut plus se permettre de construire de « mauvaises maisons » qui s’en tiennent aux normes minimales et nettement insuffisantes du Code national du bâtiment présentement en vigueur. Cependant, avec la hausse actuelle des coûts de construction, on peut se demander si les propriétaires qui désirent construire une nouvelle demeure devront délaisser les principes écologiques qui leur sont chers, pour économiser la somme supplémentaire que peut représenter ce type de construction durable. Chose certaine, l’époque où la classe moyenne achetait un terrain en forêt et pouvait aisément se construire un havre écologique à prix raisonnable est maintenant hors de notre portée. Nous allons devoir être créatifs, innovants, revoir les modèles conventionnels et faire de nouveaux choix.


Les priorités individuelles


Une mise au point de ce qu’est une « maison dite écologique » s’impose. On voit désormais de nouvelles propriétés luxueuses et de grandes superficies qui appliquent les notions de fabrication écologique. Certes, ces bâtiments dotés de meilleures méthodes de construction sont mieux adaptés et plus durables que ceux construits selon les normes en vigueur. Reste que les fondements même d’un bâtiment écologique résident dans les principes suivants : superficie minimum bien dimensionnée pour répondre aux besoins des résidents, durabilité et faible empreinte carbone. Réduire n’est pas qu’un idéal, mais une nécessité, et ce même si l’on possède le budget pour en avoir « plus ». 


Vouloir une véritable maison écologique, c’est faire un travail de détachement de ce que l’on croit « mériter » et accepter de trier et de faire son deuil de certains « besoins essentiels » que nous nous sommes créés au fil des ans : le cellier, la pièce garde-manger ou penderie walk-in, les fenêtres surdimensionnées, les nombreuses salles de bain, la serre attenante à la maison, la véranda moustiquaire, le terrain en pleine nature entourée d’arbres matures, etc. Ces nouveaux besoins font grimper les coûts de construction et la facture environnementale pour y répondre. Et si nous vivions avec un peu moins que ce dont nous pensons avoir besoin, en serions-nous vraiment moins heureux? Rêvez grand certes, mais pour l’amour de cette planète, rêvez grandement de petites maisons adaptables, belles et durables!


Déboiser un terrain au cœur d’une forêt pour construire son petit havre naturel, est-ce vraiment écologique? La démarche la plus saine à envisager demeure de se rapprocher des centres urbains ou villageois. Actuellement, la hausse des coûts la plus importante concerne les installations de nouvelles infrastructures sur un terrain (longues et sinueuses entrées de véhicules, installation septique, puits artésien, enfouissement de la ligne électrique, etc) : le montant à prévoir pour une maison de taille moyenne est entre 100 000 $ et 150 000 $. Acquérir un terrain desservi par les infrastructures municipales (aqueduc, égouts, ligne électrique) est une stratégie à privilégier afin de réduire les coûts de construction d’une résidence neuve. Pour faciliter l’accès à la propriété, il y a également la solution de revoir nos paradigmes sur la cohabitation, qui permet de partager des infrastructures, un terrain, des espaces, des appareils, voire une habitation.


Ayant fait moi-même l’expérience de vivre durant neuf ans dans l’écovillage Terre de la Réunion, dans les Laurentides, je connais le type d’enjeux que peut représenter ce mode de vie en proximité. Cependant, l’idée de se rassembler, même si ce n’est pas sous la formule d’un écovillage, reste une solution relativement facile et gagnante pour diminuer les coûts et réduire son empreinte écologique. De nombreuses municipalités emboitent le pas et modifient leur réglementation pour apporter une solution concrète à la crise du logement : les changements d’usages ou types de propriétés permis selon les zones, la possibilité d’avoir des unités d’habitation accessoires (UHA), la diminution de la surface minimale d’une propriété et même, pour les municipalités les plus audacieuses, l’acceptation tant attendue des minimaisons. 


Un immeuble multilogement ou bigénérationnel permet de diviser les coûts sur un terrain nécessitant l’installation de nouvelles infrastructures. La possibilité d’un UHA permet d’économiser les frais d’acquisition d’un nouveau terrain, en ayant plusieurs habitations sur un même lot. Le principe du cohabitat (coliving) est également un nouveau modèle prisé pour certains souhaitant partager des espaces de vie dans une seule maison, et ainsi diviser les frais de roulement d’une propriété.


Si certaines municipalités tendent à faire preuve d’innovation, reste que l’angle mort de ces scénarios alternatifs demeure la complexité légale et la lenteur des systèmes privés et gouvernementaux à adopter et promouvoir ces nouvelles solutions. Le fait que les titres notariés et les prêts hypothécaires concernent l’ensemble des bâtiments sur un même cadastre, et lient légalement tous les propriétaires, pose également de nombreux défis, en cas par exemple de revente, faillite, divorce, succession, etc. Ces risques juridiques inhérents sont des freins compréhensibles même pour des gens prêts à cohabiter et collaborer avec d’autres afin de trouver des modèles économiquement acceptables et écologiquement responsables.


Les priorités collectives 


Les solutions innovantes sont nombreuses pour tenter de résoudre la crise du logement, la crise d’accès à la propriété et la crise environnementale qui contribue à la crise de santé publique. Cependant, on ne peut faire abstraction que bon nombre de ces solutions, qui sont à la fois écologiques, durables et plein de « gros bon sens », se perdent dans les dédales des réglementations complètement mésadaptées au contexte actuel. Plusieurs institutions participent à aggraver ces crises de par leur lenteur ou leur inaction : les municipalités qui refusent de revoir leur réglementation et leur plan d’urbanisme; le ministère de l’Environnement qui conserve une position surannée sur les innovations permettant d’alléger ou de partager des infrastructures; la Commission de la construction du Québec (CCQ) qui proscrit la participation de « proches-aidants » (autres que des parents) pour aider les autoconstructeurs, ce qui est pourtant autorisé dans les autres provinces. La Régie du bâtiment du Québec, les municipalités et l’organisme Garantie Construction Résidentielle qui n’effectuent pas d’inspections indépendantes systématiques de toutes les constructions résidentielles, comme c’est le cas ailleurs au pays.


Comme citoyens nous avons le devoir d’exiger du leadership et du courage politique de la part de nos élus pour repenser les structures actuelles désuètes. Lors de l’écoute d’une entrevue à la radio, j’ai été stupéfaite d’apprendre que la seule stratégie gouvernementale mise de l’avant pour pallier la crise du logement est de construire, construire, construire (toujours aux normes minimales), avec pour résultante d’accentuer la crise environnementale. 


Bien sûr, la population croissante, le nombre de séparations qui s’est accentué ces dernières années et les plateformes de location à court terme sont des facteurs réduisant le nombre d’habitations disponibles. Mais il y a une sacrosainte question qu’en société nous nous refusons même de nous poser : le tabou du chalet. La résidence secondaire peut être un signe de réussite sociale ou un simple lieu de ressourcement « où l’on change le mal de place », parce que nous en avons les moyens, parce que nous le méritons, parce que l’on croit à tort que cela ne regarde que nous. Dans nos villes et nos villages, peut-on se questionner sur ce qu’engendre la problématique d’avoir un parc immobilier habité à mi-temps, alors que les résidents locaux n’arrivent plus à se loger?


Réduire peut aussi vouloir dire d’entamer une réflexion sur la nécessité d’avoir deux lieux de vie en cette période de crise généralisée en ville comme à la campagne.

La pénurie d’habitations disponibles a engendré une surenchère et l’inflation résultante a réduit davantage l’accès à la propriété pour bon nombre de citoyens. Le marché de l’immobilier a fait de nos maisons un produit de consommation qu’il fait bon vendre et acheter… mais à quel prix? Avec ces hausses vertigineuses, comment les jeunes pourront-ils rêver d’acquérir une propriété?


Il est clair que la location à court terme doit être mieux encadrée, voire interdite comme le font de nombreuses municipalités. Les prix des loyers ayant explosé, un crédit d’impôt serait certes le bienvenue, tout comme l’élargissement du programme de supplément au loyer qui ne s’applique qu’à un ménage « à faible revenu ». Celui-ci est défini par la Société d’habitation du Québec (SHQ) comme « un revenu en deçà duquel un ménage est susceptible de consacrer 20 points de pourcentage de son revenu de plus qu’un ménage moyen pour se nourrir, se vêtir et se loger. Le seuil de faible revenu varie en fonction de la taille du ménage et de la taille du secteur de résidence. » 


Mais peu importe les prix, nous manquons cruellement de logements locatifs. On ne peut pas juste miser sur la construction de logements neufs. De nouveaux incitatifs publics en faveur de la rénovation et de la location à long terme de résidences secondaires existantes permettrait d’augmenter rapidement l’offre de logements et conséquent de réduire la demande et les prix. Il faut saluer la bonification, annoncée le 14 septembre par le gouvernement fédéral, du remboursement (qui passe de 36 à 100 %) de la taxe sur les produits et services sur les nouveaux immeubles d’habitation dédiés à 90 % à la location à long terme, mais il devrait être élargi aux rénovations de logements locatifs. 


Voir les nombreuses aides au logement déjà offertes par la SHQ sur habitation.gouv.qc.ca/programmes.html


La conjoncture des crises actuelles est complexe, et je ne prétends pas détenir les solutions pour y remédier. Mais certains faits évidents demeurent : les gouvernements, entreprises et organismes ont le devoir de collaborer avec les citoyens pour trouver rapidement des solutions pérennes. Individuellement, il faut revoir notre façon de rêver nos lieux de vie, repenser nos idéaux et réévaluer nos besoins pour que ces rêves puissent se matérialiser financièrement et écologiquement.

L’une des solutions réside peut-être dans le fait de se créer des lieux de vie sains, agréables et durables qui peuvent s’adapter aux familles qui grandissent et rapetissent et au vieillissement de la population. 


Si l’on envisageait vivre longtemps dans une maison saine, qu’on cessait de vendre et revendre, peut-être contribuerions-nous à réduire la spéculation du marché immobilier. Et qui sait, ceux qui le souhaitent pourraient faire le choix de transmettre leur maison à prix raisonnable, au moment opportun, à leurs enfants ou à d’autres plus jeunes, comme cela était coutume autrefois. Des maisons saines, évolutives, durables et accessibles, quel précieux legs nous laisserions aux générations futures!


Et vous, quelles solutions envisagez-vous? N’hésitez pas à m’écrire pour contribuer à ma réflexion.

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